samedi 25 mai 2013

“LE PASSÉ” D'ASHGAR FARHADI


« L’être humain a inventé les mots pour pouvoir mentir ». Ce dit attribué à un vieux chef indien (américain autochtone) résume parfaitement la démarche d’Ashgar Farhadi, le réalisateur iranien de Passé. C’est le thème de prédilection qu’il n’a cessé de décliner de film en film pour montrer que la vérité importe moins que l’image que l’on se fait de soi mais, qui, parce qu’elle est destinée aux autres, est porteuse de mensonges. La communication n’est plus alors qu’une sorte de maquis qu’il faut sans cesse débroussailler pour se frayer un chemin vers la vérité de l’autre.
Le deuxième élément présent dans le film d’Ashgar Farhadi est celui de l’innocence victime des mensonges des adultes et de leur façon de communiquer à coup de serpes, taillant dans le vif.  Il s’agit des enfants, car l’intrigue des films du réalisateur iranien a pour cadre le noyau familial. Quand ce n’est pas le cas, comme dans À propos d’Elly, il s’agit d’un groupe uni par des relations affectives. D’ailleurs, dans ce film, Elly n’est qu’une enfant qui a grandi et qui reste d’une certaine façon la victime de la famille et du groupe social.
Ce sont les entorses que l’on fait subir à la vérité — y compris par ignorance, ou par bonne volonté, comme dans À propos d’Elly — qui font des victimes. L’aspect social n’est jamais loin qui fait passer la communication du stade de stratégie individuelle au sein d’une famille ou d’un groupe à celui d’artifice social entre dominants et dominés. Dans Séparation, cet artifice prend la forme du discours religieux auquel s’accrochent les dominés et qui est une posture purement formelle chez les dominants. Cependant, s’il venait à s’effondrer et si les masques tombaient, l’unité de la société — cette grande famille — s’effondrerait.
On est donc là, avec ce thème de la vérité impossible, au cœur du drame universel et à la racine de tous les problèmes de la conscience. C’est ce qui confère sa profonde humanité à la démarche du réalisateur iranien et son universalité au cinéma qu’il pratique. Qu’il tourne à Téhéran ou à Paris, il prend ses personnages à bras le corps et les fait accoucher de la vérité qui se dissimule derrière leur représentation de la vérité. Cela nécessite un talent dans la direction d’acteurs que seuls les grands réalisateurs peuvent déployer et cela exige de la part des acteurs le tour de force de cesser de l’être pour aspirer à devenir vérité. De cette façon, l’amour que le réalisateur voue à ses acteurs et celui que les acteurs ont pour les personnages qu’ils incarnent les amènent à transcender leur art dans une fusion incandescente avec la vérité. Tel est le miracle de ce film dont la plus belle illustration réside dans les toutes dernières images.