vendredi 19 avril 2013

QUAND L’ÂME SE RETIRE



“La question autrefois posée par les gnostiques : « D’où vient le mal ? » n’a pas trouvé de réponse dans le monde chrétien. Et l’allusion d’Origène à une rédemption possible du diable passa pour hérésie. Mais aujourd’hui la question nous assaille et nous devons fournir une réponse ; nous nous tenons là, les mains vides, étonnés et perplexes, et nous ne pouvons même pas nous rendre compte qu’aucun mythe ne vient à notre aide alors que nous en aurions un si urgent besoin. Certes, conséquence de la situation politique et des succès effroyables, voire démoniaques, de la science, on ressent des frissons secrets, des pressentiments obscurs. Mais on ne sait que faire, et bien peu nombreux sont ceux qui en tirent la conclusion, que cette fois-ci, il y va de l’âme de l’homme, oubliée depuis longtemps”.
Carl Gustav Jung.




FAUST, D’ALEXANDRE SOKOUROV (2011)


À la différence des grands réalisateurs russes, Alexandre Sokourov ne cherche pas à capter le temps et l’espace pour nous communiquer dans son Faust cette émotion mystique qui touche l’être dont l’espace et le temps constituent la texture. Son film est construit pour sa plus grande partie en champs serrés, plans moyens et gros plans et obéit à un choix esthétique formel qui cherche à restituer la planéité —jusqu’à l’écrasement des volumes — et le format de la toile de peinture, ainsi d’ailleurs que le format d’écran du cinéma à ses débuts.

Dans cette logique, les acteurs sont dirigés comme en surface et, à l’exception notoire de Anton Adansinsky qui incarne l’usurier — alias Méphistophélès —, ils paraissent dépourvus d’épaisseur humaine pour n’être que des images, voire une icône à l’instar de Margarete (Isolda Dychauk). Johannes Zeiler qui joue le rôle de Faust est pour sa part souvent grimaçant, toujours agité et sombre.
En adéquation totale avec les intentions de Sokourov, ce parti-pris fait de son film une œuvre froide, impersonnelle et dure. Elle ne s’adresse pas à la sensibilité mais à l’intellect, et même à des initiés. Elle ne cherche pas à captiver le spectateur mais à le pousser à adopter une distance critique.
Darren Aronosfky, le président du jury de la Mostra de Venise de 2011 — qui a décerné le lion d’or à Sokourov — en était bien conscient. Selon lui, « il y a certains films qui vous font pleurer, certains films qui vous font rire et certains films qui vous changent pour toujours après les avoir vus et celui-là en fait partie ».

Inspiré de deux œuvres allemandes, le Faust de Gœthe (1808) et Le Docteur Faustus (1947) de Thomas Mann, le film d’Alexandre Sokourov est une relecture russe du mythe imaginé par Goethe sur le thème d’un pacte scellé entre un savant et le diable.

Ce long-métrage est également la clé de voûte qui scelle une tétralogie commencée avec Moloch (1999) sur Adolf Hitler, Taurus (2001) sur Lénine — là où on aurait attendu Staline — et Le Soleil (2005) sur l’empereur japonais Hirohito.
Les trois premiers films abordent la question du pouvoir totalitaire à travers des figures directement liées aux drames du XXème siècle qui ont provoqué des dizaines de millions de morts, marquant d’une certaine façon la faillite de la culture devant la barbarie. C’est pourquoi le quatrième film remonte à la figure tutélaire qui coiffe pour ainsi dire ce type de pouvoir et est à l’origine de la faillite culturelle : Faust et sa quête de  puissance, que son alliance avec Méphistophélès mène à sa perte. Dans le film de Sokourov il n’y a ni salut ni rédemption par l’amour comme dans l’œuvre de Gœthe.

À la différence des trois premières, la figure de Faust s’inscrit donc dans une réalité psychologique. Il s’agit d’un mythe en relation avec l’histoire européenne depuis l’Allemagne du XVIe siècle — où Gœthe a situé l’action de sa pièce —, jusqu’à l’Allemagne du XXe siècle où Thomas Mann place la sienne. Le réalisateur russe embrasse ainsi cinq siècles de l’aventure de l’Europe moderne commencée avec la Renaissance, et l'illustre par des références à l'histoire de la peinture qui couvre cette période. La démarche de son film recouvre une dimension historique certaine qui semble rejoindre un jugement de Carl Gustav Jung, aux yeux duquel la Renaissance se place sous le signe de La Bête. Aux yeux du psychologue de Zurich l’Europe du Moyen-Âge, sous l'influence de la religion catholique, est celle de la découverte de l’âme individuelle par laquelle s'opère progressivement une différenciation entre l'individu et la masse informe. Dans cette optique, l'individu est le produit d'une relation directe avec le divin qui le fait se distinguer de toutes les autres créatures. Le règne du catholicisme finira avec la Renaissance, porteuse de la domination de la Raison et de la Science qui ne peuvent s’affirmer qu’en relation avec la matière du monde physique. Tout ce qui ressort de la vie, de l’esprit et de l’âme n'est pas de leur ressort. Le règne absolu de la science et l'emprise politique sur la masse qu’elle permet entraînent donc un appauvrissement spirituel qui se manifeste notamment par la baisse de l’activité créatrice de l’esprit et de l’âme.

Quand le film introduit Faust, il commence par un gros plan sur le pénis d’un cadavre que le savant soulève après dissection pour le passer à son assistant en affirmant n’y avoir pas trouvé d’âme. Chercher l’âme dans un corps inanimé revient à se la représenter comme une sorte d’organe moteur, et ne pas trouver un tel organe autorise le savant à affirmer que l’âme n’existe pas. Mais alors qu’est-ce qui anime le vivant ? Et comment peut-on affirmer que l’âme n’existe pas sans le prouver et sans savoir ce qui, à défaut d’âme, anime ? Le ton du film est ainsi donné. Seul existe le monde matériel, visible et mesurable. Celui du docteur Faust de Sokourov est plongé dans la souffrance et la misère matérielles et se situe entre le XVIe siècle et le XIXe par le biais de références constantes à des œuvres connues de la peinture européenne, comme le tableau de Rembrandt, La Leçon d’anatomie, dont l’évocation ouvre pour ainsi dire l’action du film. Vue sous cet angle, l’œuvre constitue un véritable tour de force esthétique.


Rembrandt : La leçon d'anatomie

Dans le Faust de Goethe une dimension pathétique occupe les premières scènes de la pièce. On y entend le savant se plaindre que son esprit soit capable d'accéder à des hauteurs qui lui rendent Dieu accessible sans que ce dernier daigne se manifester. Alors, à quoi sert au savant d’accumuler un tel savoir si son destin est de rester semblable à un misérable vermisseau qu’un pied peut écraser dans la poussière ? Ce  Docteur Faust déchirant qui interpelle Dieu est absent du film de Sokourov. Son docteur ayant cherché l’âme et ne l’ayant pas trouvée, il n’y aura pas un seul plan émouvant dans cette œuvre, qui se place d’emblée dans un monde impitoyable où Faust semble enfermé étouffer et où il n’y a de place que pour le diable. Ce dernier est représenté par le personnage d’un usurier sans scrupules, mais il est quand même le seul personnage qui éveille chez le spectateur un semblant de compassion  au point de passer même pour sympathique. Cette exception s’explique par le caractère fantastique du personnage et renvoie au mystère qu’il incarne dans la mesure où il est le seul en relation avec Dieu. Pour lui l’âme existe puisqu’il veut l’acheter ! L’usurier que l’on voit dans une scène, richement vêtu à la manière d’un grand seigneur, en train de déposséder une famille de tous ses biens, règne dans un monde dominé par l’étreinte de la misère physique — contre laquelle le docteur Faust se sent impuissant — la guerre interminable et les privations. Faust connaît aussi les affres de la faim. L’irrépressible désir de triompher de cette souffrance misère poussera le scientifique à faire alliance avec l’usurier.


DUALITÉ


 L'usurier et Faust

Qui dit alliance dit réciprocité. Aussi, à partir du moment où le docteur signe de son sang le pacte avec le Diable, ce dernier ne le quittera plus. Il s’affichera ostensiblement à ses côtés pour devenir son double. C’est ce double qui mettra un couteau dans la main de Faust pour qu’il tue le frère de Margarete. C’est également lui qui glissera des pièces d’or dans la main de la mère de la jeune fille pour qu’elle autorise Faust à faire la cour à sa fille. C’est également lui qui l’accompagnera jusqu’au lit de Margarete. Sokourov insiste à ce point sur cette dualité que, dès le début, c’est la main de l’usurier qui blesse celle de Faust,  trempe une plume dans son sang et lui fait signer le contrat par lequel il s’engage à vendre son âme à laquelle il ne croit pas. De la sorte, il n’y a pas un rapport de dominant à dominé, mais deux volontés complémentaires l’une de l’autre avec une tendance à s’incorporer l’une dans l’autre, marquée par la façon qu’a Sokourov de les filmer presque toujours collés l’un à l’autre.
La dualité s’affirme ensuite quand, profitant de la notoriété du savant, l’usurier s’affiche avec lui au milieu des lavandières, se déshabille, dévoile son corps étrange sans obtenir d’autre effet que des exclamations choquées et amusées. L’exposition des corps dans leur nudité ou semi-nudité, si chère aux tableaux de la Renaissance banalise même celui du Diable pour peu qu’il soit immergé au milieu des formes voluptueuses et éthérées des lavandières!

L'usurier et le Dr Faust chez les lavandières

La dualité entre Faust et l’usurier devient ensuite de la complicité quand ils empruntent ensemble des souterrains pour atteindre la maison de Margarete. Pourquoi un tel stratagème quand il est du pouvoir de l’usurier de mettre immédiatement Faust en présence de la proie convoitée? Leur complicité atteint ici une dimension fantastique qui ne sert pas tant à illustrer le pouvoir de Méphistophélès qu’à souligner la dimension inconsciente — souterraine — de la quête de Faust. Car Margarete qui l’attire comme un aimant n’est pas un simple corps désiré et Faust ne semble pas particulièrement obsédé par cet aspect.

La figure de Margarete est centrale. Dans le Faust de Goethe, elle incarne la quintessence de l’amour chrétien. Chez Sokourov, où il n’est pas question d’amour dans un univers sans âme, plusieurs indices laissent supposer qu’elle peut suggérer à Faust une figure de la Vierge. Chaque fois qu’il la contemple, la dévore des yeux, le visage de la jeune fille se met à irradier et à resplendir  comme auréolé d’or, évoquant irrésistiblement des icônes de la Vierge.



Elle est lavandière, liée donc à un acte de purification. Elle est constamment sous la surveillance d’une mère habillée de noir — l’Église ? — sévère au point de dormir avec elle dans le même lit. De ce fait, Margarete est inaccessible à l’assouvissement du désir du docteur Faust sans la suppression de la mère. Comme cette dernière se laisse soudoyer par un peu d’or, on peut y voir une allusion à la corruption de l’Église catholique quand elle a commencé à pratiquer la vente des indulgences ; une pratique qui lui sera fatale et provoquera la révolution luthérienne. L’or de l’usurier permet en tout cas l’achat d’une indulgence. La mère consentira à laisser sa fille se faire courtiser par Faust, tout en la suivant à distance, tandis que l’usurier fait de même avec Faust qu’il ne quitte pas d’une semelle.

La scène clef du film renforce cette hypothèse. La mère est supprimée par le pouvoir mystérieux de l’usurier et le corps de Margarete s’offre nu aux yeux fascinés de Faust, obnubilé par le sexe de la vierge que l’on voit en gros plan et sur lequel il s’apprête à se précipiter. Cette fois-ci, il ne s’agit pas du sexe d’un cadavre sans âme, mais d'un sexe vivant et qui donne la vie. Au corps masculin sans vie du début du film, cette séquence oppose un corps féminin palpitant, un sexe en relation avec Dieu et fécondé par Lui. Pour Carl Gustave Jung, la Vierge est une image chtonienne. Elle représente la nature et c'est la raison pour laquelle, malgré sa popularité, l'Église l'avait reléguée, ne retenant dans sa trinité que trois principes masculins, le Père, le Fils et le Saint Esprit. La figure féminine étant liée à la matière et au péché, elle ne pouvait pas être ajoutée à la trinité pour l'équilibrer et la changer en quaternité. Elle est récupérée par l'idée de la naissance virginale qui n'empêche pas que Jésus ait été porté dans le ventre d'une femme et soit sorti de son sexe. C’est ce sexe, cette « Origine du monde » que Faust veut à son tour posséder, et toute la nature avec. Et quand il y parvient,dans une atmosphère de désolation et de mort — car le cadavre de la mère n'est pas loin — on voit surgir autour de la maison, comme sorties de la conscience de Faust, des créatures infernales imaginées par Jérôme Bosch dans « Le Jardin des délices ». 





En restant dans cette logique, l’étape suivante de l’initiation de Faust sera marquée par la marche vers la Renaissance. Il demande à l’usurier de l’emmener dans l’au-delà. Malgré le refus de Méphistophélès, ce dernier est bien obligé à l’accompagner, car les rôles se sont maintenant inversés.
Alors que pour le docteur Faust, fort de l’exploit qu’il vient d’accomplir, désormais, l'au-delà n'existe pas plus que l'âme, pour l'usurier, tout dans le pressentiment de sa défaite, la démarche audacieuse de Faust est effrayante. Mais il est forcé à monter jusqu’aux cimes glacées où Faust ne découvre que les victimes éplorées qui gisent dans sa tête : le fantôme du frère de Margarete et ceux des soldats qu’il avait vu passer épuisés et abattus.  Maintenant, plus rien ne pourra le retenir. Il veut aller plus loin encore, s’élever toujours plus haut. L’usurier qui veut l’en empêcher d’échapper  à son emprise s’agrippe désespérément à ses pieds, mais il est englouti sous les pierres que lui lance le docteur avant de s’élancer, triomphant, dominant la terre et défiant l'univers dans un plan qui évoque un tableau emblématique du romantisme allemand nourri d’idéalisme  : Le voyageur au-dessus de la mer de nuages  de Caspar David Friedrich (vers 1818).


Faust, désormais, n'est plus habité par aucune image, aucun mythe, seulement par une ambition démesurée et une solitude sidérale, tel un personnage nietzschéen habité par la prémonition de la "volonté de puissance" et par l'aspiration au règne du "surhomme". 


LE CHEVAL DE TURIN, DE BELA TARR  (2012)

“Chez Nietzsche, par exemple, nous retrouvons le surhomme, l'être pétri d'instincts immoraux, dont le Dieu est mort, qui usurpe à son profit la divinité, ou plutôt la démonie, et vit "en marge du Bien et du Mal". Où a donc sombré dans le cosmos nietzschéen l'élément féminin, l'âme? (C.G. Jung)

Le spectre de Nietzsche plane sur le film du cinéaste hongrois, Bela tarr, Le Cheval de Turin, Ours d'argent au festival de Berlin de l'année dernière. Le titre de l'œuvre est en effet une allusion directe à un épisode de la vie de l'auteur de "Ainsi parlait Zarathoustra", évoquée en exergue dans le générique du film. Lorsqu'il était à Turin, Nietzsche a été le témoin d'une scène au cours de laquelle un cocher battait son cheval qui refusait d'avancer. Le philosophe allemand s'était précipité vers l'animal pour l'enlacer. À la suite de cet événement, le philosophe sombra dans une folie douce jusqu'à sa mort.

 



À la différence d'Alexandre Sokourov, Bela Tarr s'attache dans son film à restituer le temps qui s'écoule dans un lieu (une petite ferme) où rien ne se passe vraiment en dehors des actes répétitifs d'un vieil homme paralysé d'un bras, assisté de sa fille. Le soir elle l'aide à se coucher, le matin à s'habiller. Ils déjeunent d'un verre d'eau de vie et à midi ils passent à table pour manger chacun une pomme de terre bouillie; cela, pendant six jours.

Ce rituel et quelques actions régulières comme celle d'aller puiser l'eau dans un puits, d'alimenter la cuisinière à bois et de faire cuire les pommes de terre, rythment les journées des deux personnages qui n'échangent aucune parole.

L'événement central qui joue un rôle déclencheur est le refus, le premier jour, du cheval d'effectuer une sortie avec sa charrette. Le deuxième jour, une nouvelle tentative échoue. Ce jour-là, un visiteur familier vient acheter une bouteille d'eau de vie et se lance dans un discours que le vieux cocher rejette méprisant. Le troisième jour, le cheval refuse de s'alimenter. Des gitans de passage viennent puiser de l'eau avant de repartir après avoir donné un livre à la jeune femme; une Bible dont elle épelera péniblement les mots. Le quatrième jour, le puits est tari. Le cinquième, l'homme et la femme mettent le peu d'affaires qu'ils ont dans une mallette et, trainant leur cheval, disparaissent lentement derrière l'horizon d'où ils ne tardent pas à ressortir pour regagner leur demeure. Le sixième jour, le vent violent qui s'est levé depuis le début du film et n'a pas arrêté de mugir et de balayer le paysage désolé, tombe brusquement puis, malgré les tentatives du vieil homme, la lampe à pétrole s'éteint sans raison apparente.

 

Austère et épurée jusqu'à l'ascétisme, l'œuvre de Bela Tarr fonctionne avec une précision d'horloge, avec d'incidentes variations qui contribuent à la détraquer imperceptiblement jusqu'à l'arrêt. Quand on a eu la patience de se laisser immerger dans l'univers répétitif, silencieux et rauque de ce film, il y a peu de chance que l'on puisse l'oublier un jour. Il marque le spectateur d'une manière indélébile. Pourquoi?

La beauté formelle des images en noir et blanc est sans doute pour beaucoup dans cette impression. Chaque plan est une œuvre d'art. Les formes sont comme sculptées par l'ombre et la lumière et comme empreintes d'un caractère immémorial indélébile. La pauvreté des matériaux, leur caractère artisanal presque primitif, les place hors du temps. Seuls les habits permettent à peu près de situer l'action au début du XIXe siècle.

 

 

La simplicité du ressort dramatique du film, cette soudaine mélancolie qui s'empare du cheval qui perd jusqu'à la volonté de se nourrir, installe aussi au cœur du film un mystère total qui ne sera jamais résolu car il est celui de la vie même. Celle du cheval n'est plus animée par aucune volonté; on ne saura jamais pourquoi et c'est peut-être ce mystère fondamental qui a donné un coup fatal à la raison défaillante de Nietzsche dont l'œuvre s'appuie en grande partie sur les notions d'énergie et de volonté.

Avec la référence à Nietzsche, on est conduit à l'expérience de Bela Tarr, témoin de l'érection d'un empire,— l'empire communiste qui s'est érigé sur cette notion de l'"homme nouveau" guidé par la raison et la science, maître de son destin, dominateur de la nature —, d'où la vie s'est brusquement retirée. Un tel écroulement est celui d'un ensemble de représentations psychiques, c'est-à-dire d'images intérieures qui, une fois confrontées à la réalité extérieure, s'étaient vérifiées inaptes à relever le défi de la vie réelle et historique.

"L'âme est une suite d'images" disait Jung, c'est-à-dire de représentations. D'où le soin méticuleux apporté par le cinéaste hongrois comme par le réalisateur russe à la perfection des images. Chez Sokourov, il y a comme un rappel des images peintes et de tout ce qu'elles représentent au plan psychique, culturel et historique, qui se sont retirées de l'âme occidentale et ont cessés de lui parler. Chez Bela tarr, l'image est dépouillée comme le monde qu'elle représente est réduit à l'essentiel vital sans rien de superflu. C'est l'image de l'homme des commencements… et des recommencements. Elle a la force irréfragable, primordiale, de l'archétype. C'est pour cela qu'elle nous touche de manière indélébile : elle s'enracine en nous en tant qu'hommes et en tant qu'espèce, et rien, jamais, ne pourra l'en retirer. 


Hédi Dhoukar


 

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